Vous pensez peut-être que vos projets étaient difficiles à piloter ? Et bien oui, ils le sont. Mais comparés à la production cinématographique, vous allez vite vous rendre compte que comparativement, il n’en est rien. Dans la suite de cet article, nous allons aborder ces fameux « films maudits » : d’où viennent-ils, qui sont-ils et surtout quels étranges coups du sort ont-ils subis pour entrer dans les lignes les plus obscures de l’histoire du cinéma. En filigrane (mais alors vraiment en filigrane), nous en profiterons pour illustrer quelques petites leçons de management de l’information, voire de management tout court.
Le cinéma de « genre », les séries A, B et Z, les blockbusters ou les « tentpole » n’ont plus de secrets pour vous ; bien ! Mais aviez-vous déjà entendu parler des « films maudits » ?
Le petit mot de David Fincher
« Réaliser un film équivaut à peindre un tableau à deux cent mètres de la toile avec un talkie-walkie à la main et quatre-vingt personnes qui tiennent des pinceaux » ; en gros vous voyez là le bordel à ce qu’un réalisateur arrive à proposer au spectateur une réalisation proche de sa vision personnelle.
David Fincher (Seven, Fight club, Zodiac)
Puis les miens
Tout d’abord, j’ai une attirance certaine pour le milieu du cinéma ; parfois des séries. Comme tout le monde, j’apprécie regarder un bon film ou profiter d’un nanard ou deux fois par an. Mais ce qui m’intéresse vraiment c’est le processus créatif permettant de passer d’un script de quelques lignes à une sortie en salles. Sortir un film, c’est déjà en soit une certaine forme de miracle. Mais qu’il soit bon en plus, là …
Le processus de production d’un film passe par de nombreux intervenants, ayant des intérêts plus ou moins contraires : auteurs, créatifs, marketeurs, réalisateurs, producteurs, financiers, propriétaires des droits sur une licence, monteurs alternatifs, distributeurs, acteurs et selon les époques une censure plus ou moins évidente. Qu’un film passe toutes étapes de la production, rencontre un public et soit rentable est déjà peu probable. Nombreux sont les films qui se loupent sur toute ou partie des étapes. Mais certaines productions se vautrent si misérablement, rencontrent des vents contraires si défavorables ou des événements si tragiques qu’il aura fallu inventer une catégorie à part pour les décrire : les fameux « films maudits ». Attention hein, il ne s’agit pas d’un terme inventé par des complotismes en mal de sensationnalisme. Bien au contraire, vous entrez là dans l'histoire du cinéma.
Retour vers le passé
Le terme de « film maudit » nous est transmis directement par Jean Cocteau (himself), Orson Wells (qui a priori s’y connait un peu en cinéma) et André Bazin (l’un des fondateurs des Cahiers du cinéma). Réunis en conclave dans le cadre du projet « Objectif 49 », les trois compères organisent le mythique Festival du film maudit de Biarritz » en 1949.
En 1949. Et oui. En 1949, le monde du cinéma avait déjà rencontré assez de naufrages pour qu’une théorie du film maudit soit déjà assez consistante et documentée. Georges Méliès lui-même fut marqué par le phénomène, plusieurs de ses films réalisés ne furent jamais distribués par Pathé suite au rachat de la Star Films. Dès 1920, Erich von Stroheim se qualifie lui-même de « grand cinéaste maudit » ; ses films étant mutilés par les producteurs de l’époque.
Le « film maudit » c’est celui qui porte en lui une énorme part de poisse, qui rencontre des imprévus aussi dramatiques que le décès d’un acteur principal ou des intempéries détruisant les décors (Lost in la mancha), des conflits entre les producteurs et les réalisateurs (Les rapaces en 1924). Ce sont aussi les films portés disparus dont il n’existe plus qu’une fiche sur IMDB. Tombés dans l’oubli ou aux pellicules détruites par mégarde par leurs propriétaires. Ainsi on estime qu’il ne reste pas plus aujourd’hui de 10% des 15 000 œuvres produites par Pathé Films entre 1896 et 1914 [1]. La malédiction peut donc frapper à n’importe quel stade du cycle de vie de l’œuvre cinématographique [2]. Pour faire complet nous pourrions aussi comptabiliser les projets rêvés par des réalisateurs qui ne pourront peut-être jamais les matérialiser (le projet « At the Mountains of Madness », inspiré de l’œuvre de Lovecraft, pour lequel Guillermo del Toro semble en perpétuelle recherche de financement, en est un bon exemple).
« Le « film maudit est un élément fondamental de la mythologie du cinéma. Au même titre que le « glamour » la malédiction a fait entrer dans la légende un grand nombre de réalisateurs, d’acteurs et d’œuvres maudites.
Moi j'aime bien les listes, et vous ?
Si nous posions une petite liste ; celle-ci se composerait probablement des entrées suivantes :
- Le « boss de fin » des films maudits : Le Dune de Jodorowsky dont l’excellent documentaire du même nom retrace une histoire haletante, très inspirante et dont on voit que Jodo' ne s’est jamais remis. Tout cinéphile devrait avoir vu ce documentaire au moins une fois dans sa vie et l'avoir recommandé trois fois à des gens de son entourage, pas moins.
- Les films perdus ou presque oubliés (dixit les films recensés dans les catalogues dont il ne reste plus aucun bobine ou support numérique),
- Les projets avortés, commencés puis interrompus (The man who killed don Quixote, Something got’ to give, Au-delà de l’Enfer),
- Les tournages catastrophiques (Fitzcarraldo, Rollerball, Highlander 2, Apocalypse Now),
- Les montages faits à la machette ou la naissance d’Alan Smithee,
- Les morts d’acteurs (Les désaxés, Poltergeist, The dark knight, The Crow, etc.)
- Les « vrais »films maudits de chez maudit (The Omen, L’exorciste, etc.)
En guise de conclusions
Les films maudits ont une place tout à fait particulière dans l'histoire du cinéma.
D'une certaine manière ils nous rappellent que la tendance naturelle des projets est de virer au n'importe quoi. Le management de projets n'est finalement que l'ensemble des bonnes pratiques qui permettent de retarder (parfois d'empêcher) les projets de virer au chaos. J'ignore comment s'organise la production d'un film mais au vu du nombre d'intervenants présentés dans les crédits en fin de film, je sens le mal de tête poindre. Si quelqu'un peut partager son expérience de la production cinématographique, des trucs et astuces utilisés, je veux bien en discuter !
Bons films.
[1] En termes de management de l’information nous pourrions parler ici de stratégie d'archivage.
[2] Tout comme la non-qualité peut surgir à n’importe quel stade du cycle de vie de l’information : co-construction collaborative, co-validation, diffusion, conservation et archivage.