« Le merveilleux-scientifique ; une innovation littéraire à la française »
« Le Merveilleux-scientifique comme genre littéraire ambitionne de positionner son récit dans le présent en altérant une loi physique chimique ou biologique pour créer un univers merveilleux-scientifique », Fleur Hopkins, Commissaire de l’exposition.
1909.
Les actualités internationales de l’année 1909 ne sont pas forcément folichonnes ; aussi pouvons-nous les sauter allègrement. Du côté du comité Nobel, Emil Theodor Kocher reçoit la consécration en médecine pour ses travaux en chirurgie des goitres (si, si). Dans des catégories artistiques tout à fait différentes, Eugène Ionesco (dramaturge et écrivain), Francis Bacon (peintre) et Clyde Barrow (feux d’artifices) arrivent sur terre ; Léopold II la quitte. Vous le saviez, n’est-ce pas ?
Plus proche de nous tout en étant aussi éloigné sur une frise chronologique, Maurice Renard institutionnalise un genre littéraire nouveau au travers d’un manifeste (Revue Le Spectateur, 1909) révélateur de ses intentions : « Du roman merveilleux-scientifique et de son action sur l’intelligence du progrès ». Nous faire lire et nous faire réfléchir. Et nous l’en remercions vivement. Sans lui, pas d’exposition à la BNF, et sans exposition à la BNF, pas d’article.
« Le merveilleux-scientifique ; une science-fiction à la française »
L’exposition en elle-même tente de répondre à au moins trois préoccupations : « placer le visiteur dans un contexte scientifique et technique peu connu, allant de 1900 à 1930 », « faire le lien entre sciences, pseudosciences et littérature » et bien entendu « précise les contours de ce Merveilleux-scientifique ».
Au total le parcours se compose de seize panneaux dont six historiques et dix panneaux thématiques représentatifs du genre (transhumanisme, fin du monde, hommes artificiels ou augmentés, etc.). La circulation aidant, c’est une véritable promenade dans le genre que l’exposition propose de faire aux visiteurs. Les panneaux reprennent les recettes qui font les infographies réussies : un bon équilibre texte et image, des représentations propres au management visuel rendant accessibles de contenus sans avoir à lire l’ensemble des explications, des visuels homogènes au charme désuet.
Mais alors ; c’est quoi donc ce Merveilleux-tiret-scientifique ?
Sans vouloir faire de science-friction, la première des choses à dire est que le merveilleux-scientifique n’est pas de la science-fiction. Maurice Renard intègre dans le genre une époque de grandes découvertes (radium, rayons X, etc.). Là où Jules Verne se positionne en tant que technicien et vulgarisateur, Maurice Renard pousse la science vers l’inconnu pour procéder à la « scientifisation » du merveilleux. La science vient suppléer l’explication « magique » sans nuire au caractère merveilleux du récit. Ce lien est d’ailleurs symbolisé par le tiret du Merveilleux-scientifique. Les frontières se floutent : « est-ce le merveilleux qui devient scientifique ou la science qui devient merveilleuse ? » (Extrait 28 : 00 du Podcast). Les récits se positionnent dans le présent. Les auteurs altèrent une loi physique (physique, chimie, physiologie) afin de produire une « expérience de pensée » (autrement dit, une expérience qui ne pourra pas être vérifiée par l’expérimentation et qui fait uniquement appel à l’imagination et au raisonnement).
« Mais alors on a une définition ? »
Eh bien oui : « Le roman merveilleux-scientifique est une fiction qui a pour base un sophisme ; pour objet, d’amener le lecteur à une contemplation de l’univers plus proche de la vérité ; pour moyen, l’application des méthodes scientifiques à l’étude compréhensive de l’inconnu et de l’incertain » dixit Maurice Renard qui est censé savoir de quoi il parle.
Ça vous avance, hein ?
Dit autrement le genre Merveilleux-scientifique c’est du conte de fée survitaminé par injection de science (et de sciences dures en plus).
Les thèmes vous les connaissez aujourd'hui d’expérience mais à l’époque, ils se trouvaient être novateurs et propres au genre : hommes invisibles, communication extraterrestre, pouvoirs surhumains, microbes titanesques (des macrobes), voyage dans le corps humain, effet du radium sur l’homme, création et manipulation du vivant, voyager entre les astres, la fin du monde sous toutes ses formes (astéroïdes vindicatifs, séismes, invasions de vermines, catastrophes climatiques, raréfaction des ressources, épidémies, etc.).
« Mais en ce cas, pourquoi faire cet article maintenant ? »
… Parce que nous ne l’avions pas fait avant (tu parles d’une raison) et que nous n’avions jamais perdu le fil de cette promenade dans les couloirs de la BNF ; où en l’espace de quelques pas, l’exposition avait réussi le tour de force de nous faire voyager dans le temps (sans machine) et dans l’espèce (en nous faisant redécouvrir des auteurs que nous avions oublié ou ne connaissions tout simplement pas).
… Parce que nous sommes retombés récemment sur le Podcast France Culture.
… Parce que nous connaissions la science-fiction, le cyberpunk et d’autres mouvements littéraires qui ont fini par gommer le Merveilleux-scientifique mais qui s’en inspirent forcément.
… Parce que (tout court).
… Parce que nous avons passé un bon moment ; voilà tout.
Temps passés en rédaction et recherches : 3 heures
Temps passés en écoute de podcast : 2 à 3 heures
Nombre de cafés bus durant la rédaction de cet article : 2