Et si nous nous inspirions de Sherlock Holmes pour changer de perspectives sur notre quotidien personnel, autant que professionnel ?
Des temps (pas si) modernes
De huit cent-cinquante mille habitants en 1810, Londres s’élève au rang d’une ruche urbaine forte de plus de six millions âmes en peine au début du XXème siècle. Et avec une seule reine pour le compte. Autant vous dire que la surpopulation, à l’époque, n’est pas que carcérale. L’activité criminelle y est une carrière particulièrement en vogue, tant en ce qui concerne le banditisme de rue que les affaires d’arnaques en cols blancs. Le fameux Adam Worth, le « Napoléon du crime », inspirera d’ailleurs plus tard le personnage honni de Moriarty. Dans cette Londres loin d’être idéalisable le chômage est important, les conditions de vie délétères, la prostitution omniprésente. Le smog, contraction contrariante du terme smoke (fumée) et fog (brouillard) imprègne la capitale britannique. Plutôt que de fuir le quotidien en direction du Pays d’Oz ou d’autres destinations enivrantes ou relaxantes, les Londoniens se passionnent pour les récits de crimes, réels ou produits par l’imagination d’une foultitude d’auteurs habillant les journaux de leurs intrigues d’un rouge sang.
Le criminologue Edmond Locard décrit le phénomène en ces termes (et avec style) : « Certains quotidiens, et non des moindres par leur tirage, relatent les actes des bandits aussi soigneusement que d’autres les gestes des gens de théâtre, être reçu au baccalauréat ne donne droit qu’à une mention brève ; être écrasé par une voiture procure deux à trois lignes ; manifester de l’héroïsme dans un incendie ou à l’occasion d’un cheval emporté ne saurait mener plus loin qu’à un entrefilet fort sec. Le moindre délit est deux fois plus productif en notoriété ; et un crime, même opéré sans génie, assure une publicité qui eût rendu jaloux feu Monsieur Edmond Rostand. Comment résister à la tentation d’accéder aussi surement à la gloire ? »
C’est dans ce contexte qu’apparaît Sherlock Holmes sous la plume d’Arthur Conan Doyle. Face à des rivaux littéraires comptant habituellement sur les coïncidences et les dénouements faciles, le locataire du 221B Baker Street adopte une méthode. Si les circonvolutions de l’esprit de Holmes paraissent hors de portée des mortels que nous sommes, il existe toujours un étonnement : « une fois l’explication donnée, elle nous semble limpide », preuve qu’avec un peu d’entrainement nous pourrions nous-même appliquer la méthode Holmes.
Coup de canon
De mémoire l’histoire officielle, le « canon », des aventures de Sherlock Holmes ne se compose que de quatre nouvelles et de cinquante-six historiettes mettant en scène l’indélicat détective.
Parmi les nouvelles : « Une étude en rouge » (1887), « Le signe des quatre » (1890), « Le chien des Baskerville » (1902) et la « Vallée de la peur » (1915). Les compositions d’histoires plus courtes, publiées dans des périodiques puis réunies en compilation se positionnent au fil du temps : « Les aventures de Sherlock Holmes », « les Mémoires de Sherlock Holmes », « Le retour de Sherlock Holmes », « Son dernier coup d’archet » et les « Archives de Sherlock Holmes ». En pointillé Conan Doyle accompagne les lecteurs de rapports d’enquêtes de 1887 à 1927 (soit 40 années de labeur pour les débutants en mathématiques).
Pas mal pour un personnage que son auteur n’appréciait que très modérément ! Et en quelques sortes les prémisses d’une stratégie de contenu visant à fidéliser une audience.
Fiche de personnage
Aussi performant qu’il soit, Holmes n’en est pas moins faillible et un héros bien incomplet. C’est le constat que tire Watson dans « Une étude en rouge » en dressant l’inventaire des connaissances de son compagnon d’aventure :
- En littérature, philosophie, astronomies et en politique, ses connaissances s’avèrent nulles,
- Sherlock récolte une mention de connaissances « spéciales » en botanique ; s’il s’avère calé sur la belladone, l’opium et les poisons en général il semble être infoutu de faire office de jardinier,
- En géologie ses connaissances relèvent de la praticité mais sont au mieux très restreintes. S’il distingue d’un coup d’œil les principaux types de terrain, c’est principalement pour épater la galerie en identifiant le trajet de ses interlocuteurs en observant la couleur et la consistance des éclaboussures de terre maculant leurs vêtements,
- Ses connaissances en chimie sont approfondies, plus encore il procède lui-même à l’expérimentation,
- Ses connaissances en anatomie sont exactes mais sans système,
- Sa maîtrise de la littérature à sensation est presque totale, chaque crime commis au cours du siècle est fidèlement inscrit dans sa mémoire.
- En vrac, notons qu’il joue par ailleurs très bien du violon, est très adroit à la canne, à la boxe et à l’escrime.
C’est bien maigre comme référentiel de compétences, non ? En réalité, Sherlock est un spécialiste ne consacrant l’acquisition de ses connaissances, et ne développant de compétences, que dans l’objectif de résoudre les enquêtes pour lesquelles son géniteur l’a enfanté.
C’est bel et bien l’enquête qui est le moteur de Sherlock ; au point qu’il souffre de Bore-out, d’ennui et de spleen lorsqu’il n’est pas sur le terrain à décortiquer l’arbre des causes et des conséquences. A l’opposé, il s’emballe et frôle alors le burn-out. Sans entrer dans de tels extrêmes, et si nous nous inspirions d’Holmes, ainsi que des autres grands enquêteurs, pour Sherlock-iser notre quotidien. Mais comment nous y prendre ?
Et si c'était vrai ?
Il est une activité, souvent sous-évaluée, que j’ai toujours trouvé relaxante, voire plaisante : les tests en phase de recette ou le support utilisateurs en cas d’incident. Elles visent, en cas de comportement anormal (comprendre : « c’est cassé » ou « ça cahote ») d’un service numérique, à rétablir le fonctionnement normal le plus rapidement possible (mesure pérenne ou de contournement) puis à analyser ce qui a pu dérailler, ie la cause profonde qui a généré l’incident.
Cette activité, je l’ai toujours vu sous la forme d’une enquête.
On sollicite des témoins (les utilisateurs), on enregistre leurs dépositions (le ticket d’incident), on essaie de distinguer le vrai du faux (séparer le « je crois que j’ai cliqué… » du « voilà le mode opératoire que j’ai scrupuleusement suivi), on poursuit l’enquête de terrain en enregistrant des faits (les logs du serveur), on cherche à comprendre les circonstances (une montée de version récente ou sauvage, une fin de compatibilité d’une version du navigateur ?) puis à rejouer la scène de crime (reproduire l’incident en environnement de test, on ne va tout de même pas refaire planter l’environnement de production juste pour la beauté du geste), monter un dossier à charge (identifier le fait générateur) et finalement inculper les utilisateurs fautifs. Ah, non. On me signale que je m’emballe un brin. A ce stade, on fournira le résultat de l’enquête au procureur (le commanditaire ou celui qui le représente) pour que l’auditoire puisse prendre connaissance des résultats de l’enquête (selon la gravité, une présentation en comité de suivi, de pilotage ou directeur). Afin que de telles circonstances ne se produisent plus, l’on fera évoluer l’état de la loi (corriger la source de l’incident ou faire évoluer les pratiques métiers, par exemple) et l’on instruira les archives de Scotland Yard de la conduite à tenir en cas de nouvelle affaire de ce type (une fiche de résolution d’incident décrivant la procédure de rétablissement du service par exemple).
Affaire conclue ; la suivante ?
Ce que l'on pourrait en retenir ?
La plupart des emplois, de nos jours, réclament une grande capacité d’adaptation, de « changement » comme on le décrit souvent. Dans un environnement de plus en plus complexe (et parfois, avouons-le, carrément complexé) nous devons, en des temps parfois records « résoudre des problèmes ». Que se passerait-il si l’on changeait juste ce terme par « enquête » ou « énigme » (même si parfois nous penserons très fort à « casse-tête »).
En changeant de point de vue donc :
- Nous n’aurions plus de problèmes à traiter mais des enquêtes à résoudre ou des énigmes à démêler,
- Le quotidien prendrait des allures de Cluedo géant (sans avoir à se demander qui a tué le directeur financier avec une imprimante dans le bocal de l’open space),
- Nous parlerions de nos dossiers en mode 100 % storytelling (Et c’est là, vois-tu, que j’ai dit au directeur général : « après enquête, il s’est avéré que les indicateurs étaient faux ; et je vais vous dire immédiatement pourquoi ! »)
- Le Lean et le design thinking prendraient des allures d’enquêtes de terrain,
- Le pilotage par la donnée trouverait un autre sens (Sherlock Holmes ne devine pas ; il accumule une base de fait à partir de laquelle il infère une solution),
- Et certainement tout un tas de trucs auxquels je n’ai pas encore pensé.
Alors, prêt à vivre une journée dans l’état d’esprit de Sherlock ?
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