Temps de lecture : « moins d’un quart d’heure »
Temps passé en rédaction et recherches : 2 heures
Nombre de cafés bus durant la rédaction de cet article : 2
Titre original : The Nine Billion Names of God
UN EXTRAIT MARQUANT
« Listen, George,» said Chuck urgently. « I’ve learned something that means trouble. »
Pas un de plus, pas un de moins. Neuf milliards de noms à inscrire dans un répertoire. Voilà en quelques mots l’objet du récit que nous propose Arthur C. Clarke dès 1953. Avec cette nouvelle, l’auteur a d’ailleurs réussi un double exploit : « faire l’inventaire des noms de Dieu » d’une part, et réussir un voyage dans le temps de l’autre. En effet, la nouvelle gagne le prix Hugo de la meilleure nouvelle de l’année 1954. Pas mal pour un prix littéraire officiellement créé en 1955 (en réalité, l’attribution s’est faite, vous l’aurez deviné, de manière rétroactive en 2004 mais l’anecdote, étrange, méritait d’être relatée).
La liste en elle-même n’est d’ailleurs heureusement pas intégrée au récit, sans quoi la captation de Patrick Baud ne durerait pas une quinzaine de minutes mais bien plus longtemps.
Mais alors, bien bien plus longtemps !
QUELQUES MOTS A PROPOS DE L’INTRIGUE …
C’est dans les alpes tibétaines que les membres d’une communauté monastique s’échinent à recenser les neuf milliards de noms de Dieu. Avec abnégation et beaucoup de ferveur les moines compilent à la main l’ensemble des pseudonymes pouvant être adoptés par le créateur afin d’identifier entre tous celui qui pourrait être le vrai. Fin des travaux estimée dans … 17 000 ans. C’est alors, et c’est ici que débute le récit, qu’une idée pointe, fulgurante et pragmatique : « et si au lieu de rester dans notre paradigme traditionnel nous adoptions quelques facilités pour couper court dans les virages, en utilisant un supercalculateur ».
A ce stade, le récit introduit la rencontre de deux mondes, celui des moines, et celui que nous pouvons sans peine imaginer comme étant une succursale d’IBM. A ce stade et après quelques tractations commerciales dignes du loup de Wall Street, l’affaire est faite. D’ici à trois mois, incluant l’adaptation d’un algorithme existant, l’entièreté des travaux devrait être achevée.
Cette étape du récit pointe le lecteur sur deux faits indéniables. D’une, nous assistons ici au meilleur retour sur investissement de l’histoire de l’investissement informatique ; passer de 17 000 ans à 3 mois représentant potentiellement une économie encore jamais constatée dans le monde de la dématérialisation de process. De deux, l’intrigue est mise en place avec comme point d’orgue l’inaliénable question : « que va-t-il se produire une fois établie la longue liste » ?
CE QUE J'AI APPRÉCIÉ A PROPOS DU RÉCIT
Pour un texte aussi court la mise en situation est implacable d’efficacité. Deux mondes aux paradigmes différents se rencontrent (un monastère tibétain d’une part, les salariés d’une multinationale informatique de l’autre) et l’on sent bien dès les premières lignes que quelque chose cloche. Evidemment si aucune intrigue n’était à l’œuvre, il n’y aurait aucun intérêt pour l’auteur d’en faire une nouvelle et encore moins pour le lecteur d’y investir un peu de son précieux temps. Ceci est bien entendu un raisonnement de lecteur. Nous savons qu’une histoire se joue et qu’un dénouement nous attend dans les ultimes lignes. Mais lequel, ça… vous l’apprendrez aux deux tiers du texte. Mais la révélation, anticipée, est réfutée d’une manière très cohérente par les deux techniciens envoyés au Tibet. La fin est annoncée et pourtant, par le biais du raisonnement de ces deux personnages, il semble difficile d’y croire.
Lorsque vous lirez le twist final, n’oubliez pas néanmoins que nous sommes en 1953.
Alors, est-ce que je vous recommande la lecture des « Neuf milliards de noms de Dieu » ?
Bien entendu. En premier lieu parce que la lecture complète ne vous prendra pas plus d’une quinzaine de minutes. Ensuite parce que l’histoire ne s’entiche pas à faire de la science-fiction spatiale à base de civilisations étrangères, ici rendue inutile par la simple association de deux cultures bien humaines ne se côtoyant habituellement pas et pourtant bien assez éloignée l’une de l’autre pour entretenir une couche d’étrangeté dans la situation. Enfin parce que le twist, réduit à sa plus simple expression, est là encore un modèle de sobriété.
ET DU COUP, CETTE NOUVELLE PEUT ILLUSTRER …
La fin du mode projet.
« Dans la nouvelle, l’objectif est clair, la vision partagée et les conditions d’acceptation clairement énoncées et partagées par les membres de l’équipe projet tibétaine. Dans la vie professionnelle, il est parfois difficile de décider d’arrêter ou non un projet, d’en basculer les responsabilités d’une équipe à l’autre, de quantifier si les gains initialement annoncés ont effectivement été captés ».
Le gap entre l’équipe projet et l’équipe infrastructure.
« L’équipe projet partage une même vision du produit ; à ce niveau-là, pas de problème. Par contre, l’équipe infrastructure (les deux ingénieurs envoyés par la société fournissant le supercalculateur) ne partagent pas la vision du projet. Bien qu’ayant été informés des objectifs, ils ne les partagent manifestement pas. Dire n’est pas partager ».
Management transculturel
« L’écart culturel entre les deux équipes est important. Au point que la vision, pourtant décrite, n’est pas intégrée par l’équipe de la société fournissant le supercalculateur. C’est un exercice difficile mais la vision doit être partagée, autant par les internes que les prestataires ».
Bonne lecture à tous !