Temps de lecture : « Le temps d'un livre »
Temps passé en rédaction et recherches diverses : 3 heures
Nombre de cafés frappés durant la rédaction de cet article : 2
Titre original : Die Haarteppichknüpfer
UN EXTRAIT MARQUANT
« Tu te demandes pourquoi je te raconte cela et quel sort je te réserve » poursuivit le monarque. Jubad fut presque saisi de peur en se voyant percé à jour aussi vite et aussi facilement. « Et tu te demandes également s'il est possible que je lise dans les pensées... Non, je n'ai pas cette capacité. D'ailleurs, ce n'est pas nécessaire. Ce que tu penses, ce que tu ressens, je peux le lire sur ton visage. »
DES TAPIS, VRAIMENT ?
Le drôle de titre que voilà : « Des milliards de tapis de cheveux » ou, reformulé à la manière du quatrième de couverture, le « chef-d’œuvre d’Andreas Eschbach » !
« Bien, si c’est son chef-d’œuvre et qu’il ne me plaît pas ce sera autant de temps de gagné à ne pas lire ses autres récits. L’Atalante, en tant qu’éditeur, prend des risques avec une telle accroche. Moi, ça me laisse toujours un peu dubitatif lorsque l’on me présente un roman de cette manière. Ça respire la vente forcée et quelque part, si je n’aime pas, j’aurais forcément l’impression que c’est un peu de ma faute.
« Bref ! Revenons-en au titre. On n’y évoque pas d’empire galactique, pas d’invasion, pas d’IA, pas de guerres meurtrières. Bizarre. C’est vraiment de la Science-Fiction ? Moué. Voyons voir. Ce qui est certain, une fois le livre en main, c’est que l’édition est classieuse. L’illustration est d’une excellente qualité, la reliure solide, le papier d’un bon grammage, l’ensemble carrément élégant. De ce côté-là, difficile de faire mieux. C’est toutefois avec une petite crainte d’avoir à faire à un récit fétichiste que je commence la lecture.
GROSSE SURPRISE !
Première excellente surprise : « il n’y a pas d’histoire ».
Alors dis comme cela, cela peut paraître un brin étrange. En réalité, il n’y a pas d’histoire telle que décrite au travers du monomythe. En lieu et place de personnages récurrents vivants moultes aventures nous avons ici un récit composé à partir de tranches de vie. Au fur et à mesure de la lecture, l’œil attentif remarque que l’auteur a semé dans un chapitre un ou des éléments qui raisonneront dans un chapitre suivant, ce qui in fine donne l’impression de suivre une trame de manière originale et non dite. Au travers de ces épisodes de quotidien ou d’anecdotes historiques, nous faisons peu à peu connaissance de ces fameux tisseurs de tapis de cheveux, apprenons l’existence d’un empereur immortel et tout puissant, côtoyons des technologies permettant de parcourir en quelques semaines des distances de plusieurs centaines d’années lumières, d’une rébellion et bien d’autres détails donnant une consistance certaine à cet empire galactique. C’est ici un des tours de force d’Eschbach que de ne pas céder à la facilité en décrivant classiquement l’ensemble de la situation dès les premiers chapitres. C’est bien là la preuve qu’il n’est pas nécessaire de beaucoup aider l’imagination pour qu’elle travaille et qu’en l’absence d’une vision complète, forge sa propre vision de cet empire maître de plusieurs galaxies.
Deuxième excellente surprise : « le livre est une enquête adressée au lecteur plus qu’aux personnages ».
Je m’explique. De chapitre en chapitre on commence à voir cité des détails, lesquels trouvent généralement un écho dans les chapitres ultérieurs. Laissés tantôt comme d’insignifiants points du récit, tantôt comme des mots éclairés au néon, on peut rapidement se prendre au jeu de mener sa propre petite enquête. Et puis, bien entendu, il y a la question lancinante : « mais à quoi servent ces centaines de mondes dont l’économie n’est tournée qu’autour de la production de tapis de cheveux » ! Mais non de Zeus, à quoi servent-elles ces carpettes !
Et non, je ne vais pas vous le dire.
N’insistez pas.
MAIS ALORS, ON LE LIT OU PAS ?
Mais alors du coup ; est-ce que je vous le recommande ?
S’il ne faut répondre que par un seul mot ; ce serait donc « oui », principalement pour l’aspect inhabituel du récit et l’univers cohérent qu’Eschbach a esquissé. Par contre ce livre n’est fait pour tout le monde. Si pour vous le récit idéal consiste qu’à ce qu’un paysan, sur une planète fort fort lointaine parte soudainement à l’aventure, rencontre des droïdes, manipule des sabres lasers, cherche l’amour et trouve des pirates dans le cadre d’une aventure lui permettant de se confronter à un empire tout en trouvant la réponse de ses origines, alors « Des milliards de tapis de cheveux n’est peut-être pas pour vous ».
Mais si vous êtes partant pour jeter un œil via un holocron à un univers cohérent, ubuesque, dictatorial au possible tout en ayant à sa tête l’un des archétypes d’empereur les plus crédibles et charismatiques que j’ai pu croiser, alors « oui » vous prendrez un plaisir certain à visiter cet univers.
Est-ce que je vais lire d’autres œuvres d’Eschbach ?
Là maintenant tout de suite ? Faudrait qu’on me les conseille fermement. Là, à la sortie de cet univers où les destinées paraissent parfois si absurdes ou vide de sens, j’ai plutôt envie d’un récit plus léger et porté par un format plus classique (bref, je vais relire la saga Traquemort quoi). Par curiosité je vais tout de même regarder si cet univers est traversé par d’autres récits de l’auteur, auquel cas je serai intéressé à en savoir plus. Mais là à court terme j’ai plutôt envie de lire quelques nouvelles ; notamment « The last question » d’Asimov.
Sur ce, bonne lecture, le Multivac m’appelle.